Du subtil au flagrant : quelques tactiques de manipulation

Certaines tactiques de manipulation sont flagrantes et ratent leur objectif mais bien souvent la manipulation est discrète. Nous sommes tous convaincu de repérer toute tentative de manipulation. Et pourtant, il est difficile de connaître le degré de manipulation dont on est l’objet.

Permettez-moi de vous conter une anecdote. Nous sommes en 2008. Le Conseil Général de l’Essonne, aujourd’hui on dirait Conseil départemental, a décidé de mettre à mal l’association que je dirige en lui retirant son soutien financier. C’est une basse vengeance d’un élu imbus de lui-même mais là n’est pas le sujet. Cette décision unilatérale entraîne l’arrêt de toutes les subventions, les autres financeurs n’étant pas disposé à augmenter leur participation.

Mais pour fermer une association et licencier l’intégralité de son personnel dans une association, il faut un président pour animer toute la procédure. Vous imaginez bien que dans une telle situation les candidats ne se précipitent pas. Un jour la représentante du Conseil général prend à part un des vice-présidents et se met à le flatter de façon outrancière. Petit à petit, je vois mon bonhomme onduler de plaisir et il finit par accepter « avec fierté » l’offre empoisonnée qui vient de lui être faite. Il acceptera donc la présidence. Une fois la conversation terminée je m’approche de la représentante et lui dit qu’elle a bien manœuvrée mais que je ne me serais jamais laisser manipuler avec de telles flatteries.

Une main agit sur le cerveau pour manipuler la personne
Illustration de Gerd Altmann sur pixabay.com

Sans perdre son aplomb, elle me dit alors : « Je sais, avec vous ce qui marche c’est la confiance. » C’est la douche froide mais elle a raison. Cependant, en m’avertissant qu’elle me manipule aussi, elle aura renforcé ma vigilance pour la suite des évènements.

Nous sommes tous des manipulateurs et nous sommes tous l’objet de manipulations. Rappelons cependant qu’une manipulation n’est pas forcément destinée à causer du tort. Féliciter son équipe pour la qualité de son travail en espérant la motiver davantage est une technique efficace, si elle est conduite avec subtilité.

Les manipulations s’appuient souvent sur l’observation, la recherche chez l’autre de ses besoins réels. Je n’approfondirai pas ici cet aspect. J’aborderai ce que je qualifie de manipulation « banale », celle que nous vivons au quotidien.

Les médias et la dictature de l’émotion

Une main manipule le coeur d'une autre personne
Illustration de Gerd Altmann sur pixabay.com

Les médias disposent d’une infinité d’artifices qui leur permettent de façonner l’opinion. Les médias ne sont rien sans l’audimat. Une information est diffusée, non pour l’intérêt qu’elle présente mais pour le succès qu’elle peut rencontrer. Pour vendre de la publicité à des annonceurs, il faut de l’audimat.

Les médias jouent avec notre sensibilité affective. La mort, la souffrance, la maladie, la polémique, la violence, la peur font du chiffre. Les bons sentiments, les fins heureuses, l’attendrissement sont aussi de la partie. L’émotion tord la raison en empêchant toute analyse rationnelle. La gestion de l’émotion est largement utilisée dans le domaine de la publicité où on présente de moins en moins le produit et ses qualités. La publicité vise à procurer des émotions en fonction du but recherché.

Les médias jouent sur la répétition pour générer de l’attention. Et ce matraquage attentionnel conditionne l’opinion. Les médias ne se contentent pas de relater, ils cherchent l’adhésion.

Les médias utilisent des échelles différentes selon l’effet qu’ils souhaitent obtenir. Selon l’objectif recherché on parlera d’un coût d’à peine quelques euros par jour pour minimiser l’impact négatif d’une nouvelle ou de plusieurs milliers d’euros pour signaler l’aspect exorbitant. Et pourtant quelques euros par jour conduisent naturellement à plusieurs milliers d’euros par an. Il suffit de faire la multiplication pour s’en assurer.

Dans cet autre article, j’explique notamment comment les présentateurs de l’information mettent en avant leurs propres réponses au détriment de leurs invités. et le rôle machiavélique des réseaux sociaux dans la déformation de l’information.

Peut-être le journaliste de France Info a-t-il considéré que son sujet serait davantage lu en annonçant un « nombre record » de la population carcérale et une « surpopulation de 120 % ». Un élève de CM2 aurait été capable de déterminer qu’il s’agissait en fait d’une surpopulation de 20 %. Mais 120 % était sans doute plus vendeur. La manipulation ici est tellement flagrante que le titre n’a pas été corrigé alors que dans les commentaires, quelques lecteurs ont signalé la coquille.

Certains médias recourent à la surcharge cognitive. Il s’agit ici de saturer le cerveau pour obtenir davantage de clics sur des publicités. Une étude récente s’en fait l’écho.

L’autorité ou le statut social facilite la manipulation

Vous avez sans doute entendu parler de l’expérience de Milgram. Celle-ci est notamment présentée dans le film « I comme Icare » sur l’assassinat du Président Jarry.

Cette expérience démontre que des individus peuvent obéir servilement à une autorité et ce sans le moindre esprit critique. Il suffit pour cela que l’autorité soit considérée comme légitime par la personne manipulée. En fait, aussi odieuse soit la demande, l’individu hiérarchise la responsabilité : ce n’est pas moi qui ai décidé, c’est l’autorité qui est responsable.

L’expérience est décrite dans la vidéo ci-dessous et une analyse critique est également proposée.

Quelques techniques de manipulation

Je vais ici aborder rapidement des techniques de manipulation utilisées fréquemment. On parle de « communication persuasive ».

Le livre de Robert-Vincent Joule et de Jean-Léon Beauvois intitulé « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens » développe largement diverses techniques de manipulation. Le livre s’appuie sur un grand nombre d’études et d’exemples.

Attention, chaque individu est différent et donc plus ou moins réceptif à une technique donnée. Bien sûr, on peut combiner ces tactiques pour en assurer l’efficacité.

Le sentiment de libre arbitre

Une main manipule avec des ficelles un groupe de personnes
Illustration de shahbazshah91 sur Pixabay.com

Si vous souhaitez manipuler une personne, la liberté est un préalable nécessaire. Ceux qui se sentent libres de refuser ont tendance à accepter plus souvent. L’illusion du choix donne à l’individu le sentiment de contrôler la situation. Ici, le sentiment de liberté est un piège.

Le besoin de réciprocité

Si une personne vous rend un service ou vous fait un cadeau alors que vous ne l’avez pas sollicité, on peut imaginer que vous aurez un sentiment de dette et ressentirez un besoin de réciprocité.

Le sentiment de rareté

Phénomène plus connu, il s’agit ici de mettre en place une offre valable seulement pour quelques jours afin d’amener les gens à acheter de manière impulsive, même si cet achat n’était au départ pas envisagé.

La technique du pied dans la porte

Ici il s’agit de faire accepter dans un premier temps une petite contrainte. Il sera plus facile d’en faire accepter une plus grosse dans la foulée. Demander l’heure pour ensuite demander un euro est plus efficace que de demander directement un euro. Annoncer des soldes et oublier que toutes les tailles de vêtement ne sont pas disponibles fonctionne bien aussi. Il est bien évidemment essentiel que la tromperie ne soit pas repérée par la personne que l’on souhaite manipuler.

La technique de la porte au nez

Il s’agit dans un premier temps de faire une demande exorbitante qui sera bien sûr refusée et enchaîner par une demande plus modeste. Les deux demandes doivent se suivre de près, si possible dans la même conversation.

La peur de se déjuger

Peur de se déjuger facilte la manipulation
Image de Gerd Altmann sur pixabay.com

Le manipulateur peut ne pas signaler un inconvénient, obtenir l’accord puis révéler l’inconvénient plus tard. Cette tactique obtient de meilleurs résultats que si on avertit la personne préalablement. En effet, certains personnes affirment leur fierté d’être constant dans leurs décisions. La difficulté dans le désengagement, c’est la peur du regard des autres et la culpabilité que l’on peut en ressentir.

L’empathie comme arme de manipulation (technique du pied dans la bouche)

Commencer un contact par la question « Comment allez-vous aujourd’hui ? » ou affirmer « Je suis très heureux de vous voir en pleine forme » favorise la manipulation ultérieure. On pourra ensuite demander un petit service dont on remerciera chaleureusement la personne (technique dite de l’étiquetage). La personne sera alors plus disposée par la suite à vous rendre un plus gros service.

Rechercher la similitude

Mettre en évidence les points communs que l’on a avec une personne facilitera une manipulation de celle-ci. De la même façon trouver un « ennemi commun » à la personne que l’on souhaite manipuler favorise le rapprochement entre le manipulateur et le manipulé.

Utiliser la preuve sociale

Affirmer à une personne que si elle refuse, cela semblera étrange car toutes les personnes auxquelles cela a déjà été proposé ont acceptées. Nous sommes des êtres sociaux avant tout et nous cherchons inconsciemment à ressembler aux autres.

Toucher la personne que vous souhaitez manipuler

Toucher le bras ou une partie du corps pendant quelques secondes améliore l’adhésion à condition de ne pas regarder la personne dans les yeux. Si vous voulez rester maître de vous-même, refusez qu’on vous touche. Cela fonctionne même si la demande de service est effectuée un peu plus tard. Incroyable, non !

La manipulation interpersonnelle est avant tout histoire de subtilité

Manifestation bienveillante avec le sigle de la paix
Illustration de Gerd Altmann sur pixabay.com

Pour cette partie, je me suis inspiré de l’excellent livre de Dale Carnegie : Comment se faire des amis et influencer les gens. 37 traductions pour ce livre, vendu à plus de 40 millions d’exemplaires. La première édition du livre date de 1936. Voici quelques-unes des idées contenues dans son livre.

La critique est vaine parce qu’elle met l’individu sur la défensive et le pousse à se justifier. De plus, la critique provoque la rancune. Sauvez la face est le besoin irrépressible de tous les individus. L’humiliation de l’autre n’est jamais une bonne idée.

L’indifférence, le manque de considération éloigne les gens. Si vous voulez qu’une personne vous rende service, faites-lui sentir son importance, insistez sur ses qualités. Le seul moyen d’influencer une personne, c’est de s’intéresser à ce qu’elle aime. Cela vous permettra de comprendre à quoi elle est sensible.

Quand il vous vient une idée brillante, il est souvent plus rentable de faire croire à votre interlocuteur que l’idée vient de lui. N’hésitez pas à lui demander des conseils pour mieux faire.

Dale Carnegie conseille de sourire quand on téléphone, cela s’entend !

Se souvenir du nom de votre interlocuteur, de son histoire est un vrai plus auquel vos interlocuteurs seront sensibles.

Eviter les discussions polémiques : si vous l’emportez, vous aurez simplement fait ressentir à l’autre son infériorité et blessé son amour propre. Vous croirez avoir gagné mais il sera furieux au fond de lui-même et cela ne changera pas son avis. Il est préférable de chercher un terrain d’entente, de promettre de réfléchir à l’argument de l’autre, d’admettre que vous pouvez vous tromper. Puis, afin que le conflit s’apaise, ajournez la suite de la conversation

Renoncer au plaisir de contredire avec vivacité quelqu’un qui dit des choses absurdes. La personne n’écouterait plus vos arguments et passerait son temps à chercher d’autres arguments pour vous contredire. Admettez que son propos est entendable mais que peut-être…

En conclusion

Un personnage manipule avec délicatesse une autre personne
Illustration de CDD20 sur pixabay.com

Consciemment ou pas, nous manipulons et bien sûr la réciproque est vraie. Alors ! Toujours persuadés que vous échappez à toutes formes de manipulation ! N’hésitez pas à parler de votre propre expérience en utilisant les liens ci-dessous. Je serais très heureux de vous lire.

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