Dans les démocraties, on recourt au principe de la représentation. Des élus représentent la République française. Dans le monde de l’entreprise, on trouve les délégués du personnel, les délégués syndicaux, le Comité d’entreprise, etc.
De nombreux dispositifs ont aussi recourt au système de la représentation, même lorsqu’il ne passe pas par une élection. Dans le domaine de la justice, on peut citer par exemple les jurés d’assises tirés au sort, qui représentent les citoyens. Bref la représentation est le fondement même de nos démocraties.
Mais de nombreuses personnes pensent aujourd’hui que leurs représentants ne prennent pas suffisamment en compte leurs besoins et leurs préoccupations. C’est au nom de ce principe qu’un groupe minoritaire, voire un seul citoyen peut souhaiter imposer sa manière de voir à une majorité et s’estimer légitime pour le faire. Et on ne sait jamais vers quoi cette contestation peut mener.
Au sommaire de l'article
- La légitimité est un concept de plus en plus « disputé »
- Des représentants de plus en plus débordés par les contestations
- Les Français pensent majoritairement que la démocratie fonctionne mal en France
- Dans les médias, les présentateurs de l’information ne respectent plus leurs invités
- Les réseaux sociaux sont devenus le moyen idéal pour créer des communautés d’opinion
- Les réseaux sociaux ont-ils pour objet de nous abêtir ?
- Les démocraties occidentales sont-elles en danger?
La légitimité est un concept de plus en plus « disputé »
Il est difficile de savoir si la réforme des retraites aura lieu. A priori il semble bien qu’elle ne sera plus remise en cause mais sait-on jamais ! Dans un état de droit, ce sont les élus du peuple Français qui devraient voter cette loi, l’amender ou la rejeter. En théorie ! Car la rue a bien failli en décider autrement.
Par le passé, des mouvements de colère spontanée ont eu lieu. On peut citer le mouvement « Nuit debout » en 2016 et, en 2018, « Les gilets jaunes ». A l’occasion, les organisations classiques issues de la représentation sont évitées, moquées, voire rejetées.
La colère est le lien entre les contestataires mais ces mouvements réussissent rarement à se faire élire lors d’élections démocratiques. De plus en plus, ces mouvements revendiquent des référendums citoyens. Certains ont recours à des consultation en ligne, sujettes à toutes les manipulations possibles, pour justifier leur opposition.
Des représentants de plus en plus débordés par les contestations
Le taux de participation évolue de façon contrastée selon le type d’élection. Cet article du Bureau d’études Compas illustre par des graphiques le taux d’abstention selon le type d’élection (européennes, nationales ou locales).
Ceux qui s’abstiennent lors d’une élection dénient à ceux qui ont été élus le droit de les représenter. Les notions de représentation et de majorité ne seraient donc plus légitimes ! Quant aux citoyens qui votent, si leurs candidats ne sont pas élus, ils s’insurgent.
Ce phénomène n’est pas uniquement français. En dehors du territoire, on peut citer la prise du Capitole aux Etats Unis et les dégradations des lieux de pouvoir par des partisans de Jair Bolsonaro au Brésil.
Plus proche de nous, la récente querelle au sein du parti socialiste pour la direction du parti est riche d’enseignement. Même si le résultat de l’élection était acquis pour Olivier Faure, il a fallu négocier et le perdant, Nicolas Mayer-Rossignol, devient premier secrétaire délégué. Un poste créé de toute pièce pour calmer les oppositions !
Même si les revendications des médecins généralistes sont actuellement orchestrées par les syndicats représentatifs, c’est une page Facebook qui a lancé le mouvement. « Médecins pour demain » est né en septembre 2022 et a cherché à mobiliser les médecins syndiqués ou non. Pour mémoire, le mouvement des gilets jaunes est né aussi sur Facebook.
Malgré un accord salarial majoritaire le 14 octobre 2022 chez Total Energies, la CGT avait décidé de poursuivre seule le mouvement.
Les Français pensent majoritairement que la démocratie fonctionne mal en France
Cette étude a été réalisée par IPSOS sur un échantillon de 12044 personnes âgées de 18 ans et plus.
74 % des sondés pensent qu’on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres.
La confiance de manière générale est minoritaire : 38 % font confiance aux syndicats, 31 % font confiance aux médias. Si la confiance envers les maires est de 72 %, elle n’est que de 36 % pour les députés et seulement 18 % pour les partis politiques.
Les Français sont partagés entre ceux qui préfèrent un modèle de démocratie représentative et ceux qui lui préfèrent un modèle de démocratie plus directe. Une majorité de Français (71 %) estime que les personnalités politiques agissent d’abord pour leurs intérêts personnels.
Dans cette étude de l’Institut Montaigne déjà citée dans un de mes précédents articles, 49 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans trouvent acceptable ou compréhensible de « s’affronter à des élus pour protester » et 39 % de « s’affronter à la police ».
Dans les médias, les présentateurs de l’information ne respectent plus leurs invités
Pour avoir été amené par le passé à animer des rencontres, je sais que l’animateur d’un débat ou d’une interview doit parfaitement posséder le sujet. C’est la condition première pour obtenir une animation de qualité et surtout poser des questions pertinentes qui mettent en valeur l’invité.
Malheureusement une nouvelle tendance est apparue depuis quelques temps. On voit des présentateurs poser une question, obtenir une réponse imprécise et poursuivre sur un autre thème. La réponse à la question posée avait-elle un intérêt à leurs yeux ? On peut en douter.
Et tout cela n’aide pas à une réflexion assagie et argumentée !
On voit aussi des présentateurs qui donnent les réponses aux questions qu’ils sont censés posées aux spécialistes qu’ils ont en face d’eux. En procédant ainsi, on décribilise la qualité de l’information car on ne met pas en valeur les arguments de la personne interrogée. Mais pourquoi invitent-ils donc des spécialistes si c’est pour ne pas écouter ce qu’ils ont à dire ? Empêcher les personnes invitées de défendre vraiment leurs arguments, ce n’est pas encourager la démocratie. Pourrait-on aussi sur les plateaux de télévision éviter d’avoir recours à des pseudo spécialistes ? On ne sait pas toujours quelle est leur légitimité, trop souvent elle est incertaine.
Les réseaux sociaux sont devenus le moyen idéal pour créer des communautés d’opinion
Les jeunes principalement mais aussi une grande part de la population passe beaucoup de temps sur les réseaux sociaux. La période, où ces réseaux servaient uniquement à garder le contact avec ses proches, est dépassée. De plus en plus de médias, d’influenceurs, de spécialistes auto-proclamés côtoient des scientifiques, des élus, de vrais spécialistes.
Chacune des interactions d’un utilisateur des réseaux sociaux est enregistrée dans les algorithmes des plateformes. Les contenus sont triés et distribués en fonction des profils déterminés par lesdits algorithmes. Ces réseaux connaissent, grâce à une masse colossale d’information collectée, les opinions de chacun et leur fournit un contenu adapté à ce qui peut les motiver.
On comprend mieux pourquoi les réseaux sociaux luttent aussi peu contre les fakes news. Celles-ci ont l’avantage de produire des discussions passionnées qui fidélisent un public qui s’installe durablement sur le réseau pour… consommer davantage de publicité. Combien de personnes vérifient-elles des informations qui ont déjà obtenues des likes et sont diffusées par un influenceur ?
Certains considèrent la vérité basée sur des faits comme étant une « opinion parmi d’autres ».
La Mission d’étude sur l’émergence de nouveaux groupes sectaires en 2021 déclare : « La crise due à la pandémie de Covid-19 a instauré un climat anxiogène qui a contribué à déstabiliser les personnes vulnérables. Des manipulateurs en ont profité pour propager leur doctrine sur les réseaux sociaux »
Les réseaux sociaux ont-ils pour objet de nous abêtir ?
La vidéo ci-dessous explique comment les réseaux sociaux agissent pour envoyer des shots de dopamine à leurs utilisateurs afin d’altérer leur capacité à réfléchir. La vidéo contient du placement de produit en milieu de vidéo mais elle est vraiment très instructive. Si vous pensez que le gars parle trop vite, vous pouvez ralentir sa parole (au survol petit engrenage en bas de la vidéo).
L’IFOP a réalisé une enquête en janvier 2023. Pour apprécier les résultats de celle-ci, il est nécessaire de signaler que les réponses ont été suggérées. Mais le simple fait que ces réponses soient accréditées par des jeunes de 18 à 24 ans est pour le moins inquiétant.
- 31 % des jeunes interrogés pensent que Le résultat de l’élection présidentielle américaine de 2020 a été faussée aux dépens de Donald Trump.
- Qu’ils le pensent ou non, à partir de quoi ont-ils pu établir leur conviction ?
- 32 % affirment que les vaccins à ARNm contre le COVID-19 génèrent des protéines toxiques qui causent des dommages irréversibles dans les organes vitaux des enfants.
- Sur quoi reposent ces affirmations ? Quelle étude scientifique fiable s’en fait l’écho ?
- 41 % pensent qu’un créateur de contenus (influenceur) a tendance à être une source fiable. Ce chiffre atteint même 65 % quand ils sont scolarisés en Réseau d’Education Prioritaire
- 48 % croient aux esprits, 10 % ne savent pas !
- 73 % des 18 24 ans disent utiliser les réseaux sociaux pour s’informer.
- Dans le baromètre numérique du Crédoc sorti le 30 janvier de cette année, ils ne sont que 59 %. à avoir ce comportement.
- Eu égard à la manipulation qu’offrent les algorithmes, ces chiffres posent problèmes.
Les démocraties occidentales sont-elles en danger?
Les promesses non tenues, certaines affaires concernant des élus n’améliorent pas la situation et font planer un doute permanent. Préserver la qualité, la fiabilité de la parole est un enjeu majeur.
Il est essentiel d’éduquer la population à une réflexion plus complexe et pour cela offrir une plus grande transparence. Il faut refuser les discours simplistes. Certes tout ne peut être dit mais l’ultra opacité n’est pas une solution viable sur le long terme. Elle encourage les théories complotistes.
La manipulation est partout. Un certain Donald Trump à Kansas city disait « Rappelez-vous juste. Ce que vous voyez et ce que vous lisez n’est pas ce qui se passe ». On se dirait transféré dans le monde d’Orwell : « La vérité c’est le mensonge »
Est-ce que comme l’écrit George Orwell dans « 1984 », le contrôle de la pensée induit le contrôle de la réalité ?
La représentation pourra-t-elle nous protéger contre les autocrates en herbe ?
Si le système de représentation n’est plus considéré comme légitime par la société, cela peut-il menacer la stabilité et la cohésion de la démocratie ?