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Les étapes douloureuses d’une loi fin de vie très hypothétique

Les étapes vers une nouvelle loi concernant la fin de vie sont douloureuses. Au vu de l’actualité, on peut même craindre qu’aucune avancée sérieuse ne se concrétise par un texte lors de ce quinquennat. Un nouveau texte de loi est envisagé au vu des difficultés rencontrées pour l’application des textes de loi Clayes Léonetti, notamment liées à de nombreuses imprécisions quant à leur application. Ces imprécisions ne facilitent ni la vie des patients concernés ni celles des médecins. Par ailleurs, l’absence de moyens budgétaires rend cette loi assez théorique et mal appliquée dans les faits.

On tente de légiférer sur la fin de vie depuis 1978

légiférer la fin de vie
Illustration de Gerd Altmann sur pixabay.com

En 1978, Henri Caillavet, franc-maçon et sénateur, tente de faire voter un texte qui envisage déjà la possibilité pour un citoyen de « déclarer sa volonté qu’aucun moyen médical, autre que ceux destinés à calmer la souffrance, ne soit utilisé pour prolonger artificiellement sa vie, s’il est atteint d’une affection incurable. » La proposition de loi du sénateur Caillavet est rejetée.

« je veux organiser ma propre mort, mon corps m’appartient. Il n’appartient à personne… il m’appartient, et à moi seul de dire si je veux continuer [à] vivre d’une manière artificielle grâce à des pompes qui maintiennent un homme dans une existence artificielle. »

Henri Caillavet

La loi no 99-477 du 9 juin 1999 garantit le droit à l’accès aux soins palliatifs. Elle a été promulguée mais son application est restée hasardeuse.

En 2005, à la suite de l’histoire du jeune tétraplégique Vincent Humbert, la loi Clayes Léonetti est votée. Cette loi va dans le même sens que la proposition Caillavet mais 27 ans plus tard.

Une analyse des textes pour mieux comprendre les textes de loi Clayes Léonetti figurent ici. Le but étant de faire un état des lieux des textes qui encadrent la fin de vie aujourd’hui.

Quand Emmanuel Macron s’engage

loi fin de vie possible ou impossible
Illustration de Gerd Altmann sur pixabay.com

En mars 2022, lors de la présentation de son programme pour un second mandat, Emmanuel Macron se prononce pour mettre en place une convention citoyenne sur la fin de vie, dans la perspective d’une nouvelle loi. Il envisage ensuite de se baser sur les conclusions de cette convention pour soumettre « à la représentation nationale ou au peuple le choix d’aller au bout du chemin qui sera préconisé ».

Le 31 mars 2022, lors d’un déplacement à Fouras (Charente-Maritime), il se dit, à titre personnel, « favorable à ce qu’on évolue vers le modèle belge » où l’euthanasie est autorisée, dans un cadre très strict.

Premier couac, six mois plus tard, devant le Pape, il déclare qu’il « n’aimai[t] pas le mot d’euthanasie » et que « la mort, c’est un moment de vie, pas un acte technique ».

Le processus se poursuit cependant. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) rend le 13 septembre 2022, un avis sur la fin de vie. Cet avis ouvre la voie à une « aide active à mourir » strictement encadrée.

Une convention citoyenne sur la fin de vie est constituée et remet ses conclusions le 2 avril 2023. Pour 76 % des citoyennes et citoyens de la Convention, l’accès à l’aide active à mourir doit être ouvert, tenant compte en cela des limites de la sédation profonde et continue.

Le Président Macron promet au vu des conclusions de présenter un projet de loi pour la fin de l’été 2023.

Lorsque le Président de la République se ridiculise

docteur avec un stéthoscope devant un électrocardiogramme
Photo de Gerd Altmann sur pixabay;com

En septembre, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, déclare que finalement la présentation du texte se fera fin septembre. La ministre, Agnès Firmin Le Bodo confirme une présentation du projet de loi « avant le 21 septembre. »

Finalement, juré promis, la présentation aura bien lieu mais lors du conseil des ministres du 14 novembre 2023. Un ministre anonymement indique qu’Emmanuel Macron a envie « d’aller le moins loin possible, et le moins vite possible ». La suite va lui donner raison.

Entre temps, dans un courrier, le 5 novembre, le Président propose un éventuel référendum sur la question qui, du coup, ne serait plus débattu devant le parlement.

Hasard de calendrier, le 14 novembre, le Président est dans l’obligation de partir pour visiter les victimes des inondations dans le Nord Pas de Calais. Finalement le conseil des ministres est repoussé au lendemain mais curieusement la présentation du projet de loi sur la fin de vie n’est pas abordée ce jour-là.

Finalement la ministre ,Agnès Firmin Le Bodo, annonce la présentation du projet de loi en février 2024.

Le samedi 9 décembre, le professeur Chauvin, ancien président du Haut Conseil de la santé publique, remet son rapport sur l’accompagnement de la fin de vie. Il l’a nommé « Vers un modèle français des soins d’accompagnement »

Le rapport préconise notamment la création de maisons d’accompagnement. Ces maisons d’accompagnement seraient à la fois « lieu d’hébergement pour des patients en fin de vie » et « lieu de répit temporaire pour les aidants ». L’objectif est d’installer 100 maisons d’ici dix ans sur l’ensemble du territoire. Ces structures de petite taille (de 12 à 15 lits en hébergement permanent) seraient destinées aux malades dont l’état de santé est stable, qui ne peuvent plus rester à l’Ehpad mais qui n’ont pas la nécessité d’être hospitalisés.

Et donc au maximum 1 500 lits en 10 ans pour l’ensemble du territoire, soit 15 lits par département au rythme d’1,5 lit par an.

Pour ma part, je parlerai plutôt de maisonnettes d’accompagnement. Mais la ministre parle d’une « petite révolution avec une prise en charge très en amont »

Le rapport préconise également la création d’un congé de 120 heures par an pour faire du bénévolat. Il envisage aussi la création d’une spécialité de médecine sur la fin de vie.

Sans donner de chiffres, le rapport souligne que « cette ambition doit être soutenue par un effort financier conséquent »

La ministre Agnès Firmin Le Bodo précise : « L’aide active à mourir ne peut pas être effective en 2024, à partir du moment où le projet de loi sera présenté en février (…) Il faudra une navette entre l’Assemblée et le Sénat, peut-être un autre aller-retour, donc il faudra au moins 18 mois de débats »

Mais l’article du monde affirme que le Président prévoit un projet de loi sur l’aide à mourir examiné après les Européennes. On peut imaginer en effet que la présentation avant les élections européennes pourrait en faire un sujet de débat !

Considérant que nous serons alors proches des vacances d’été, on peut imaginer une présentation en septembre et une loi promulguée au plus tôt début 2026 !

L’état d’esprit des Français quant à la nécessité de faire évoluer les choses en matière de fin de vie

Un homme remplit une seringue pour soigner ou soulager
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Entre 1000 et 4000 euthanasies clandestines seraient faites actuellement en toutes illégalité et parfois simplement pour libérer des lits.

Une loi permettrait sans doute de diminuer ces euthanasies clandestines dont les familles ne sont parfois pas même informées.

Plusieurs sondages montrent que les Français sont prêts à une loi pour l’aide active à mourir.

Dans un sondage du Journal Du Dimanche, 70 % de l’échantillon se déclare favorable à l’aide active à mourir et à l’euthanasie. Cela ne veut pas dire qu’ils souhaitent y recourir pour eux-mêmes. Seul un tiers de l’échantillon pourrait l’envisager. Par ailleurs 54 % sont favorables à ce que les soignants aient la possibilité de ne pas pratiquer ce geste.

Rappelons que c’est le cas pour la loi concernant l’IVG. L’article 18 (article R.4127-18 du code de la santé publique) dit que le médecin est toujours libre de refuser de le pratiquer. Il doit cependant en informer l’intéressée.

Dans le sondage IFOP ci-dessous, 90 % de l’échantillon sont favorables à l’euthanasie. 85 % sont favorables au suicide assisté. 75 % des Français sont satisfaits des conclusions et des préconisations de la Convention citoyenne sur la fin de vie.

Une étude réalisée par Cluster17 pour Le Point indique que 83% des sondés sont favorables à l’euthanasie. Cette étude, particulièrement détaillée, analyse les réponses. Elle constate notamment que seuls 47% de ceux qui croient et pratiquent une religion sont favorables à l’euthanasie, alors que l’on trouve 82% chez les simples croyants et 92% des non croyants.

Les opposants à une évolution de la loi sur la fin de vie se mobilisent

Fin de vie dans les nuages grâce à une échelle
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Alliance Vita, cette association fondée par Christine Boutin en 1993, est clairement opposée à toute idée d’aide active à mourir. Pour rappel, elle l’est aussi à l’avortement, au mariage pour tous, à l’adoption pour les couples de personnes de même sexe, à la PMA pour les couples de femmes et les femmes célibataires.

Le 2 décembre, l’association a organisé dans une cinquantaine de villes des manifestations contre le projet de future loi. Si, dans le meilleur des cas, une soixantaine de manifestants masqués sont dénombrés, 8 l’ont été à Nice et 7 au Mans.

Mais le lobbying est puissant et la manifestation a été très largement relayée dans la presse.

L’église et ses évêques ne sont pas en reste et se sont mobilisés contre l’entrée de l’avortement dans la Constitution et contre un projet de la loi concernant la fin de vie.

L’église catholique a élaboré une prière qui sera lue dans toutes les églises à Noël. Celle-ci prie « pour le respect et la protection de la vie, de sa conception à sa fin naturelle. »

Les médecins sont peu favorables à l’évolution de la loi même s’ils sont prêts à y réfléchir. C’est ce qu’indique un sondage de janvier 2023 du Quotidien du Médecin. On sait qu’au début de l’application de la loi de Simone Veil sur l’avortement, peu de médecins y étaient favorables.

Pourtant, on parle aujourd’hui de faire rentrer ce droit dans la constitution.

La Société Française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), un collectif de plus de 800 000 soignants, est farouchement opposée à une nouvelle loi.
Certains d’entre eux se réfèrent au serment d’Hippocrate de 2012. On peut y lire : « Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. » Mais la déclaration de Genève d’octobre 2017, qui vaut aussi référence, est beaucoup moins catégorique.

De telles oppositions farouches sont difficiles à comprendre. Un texte sur la fin de vie n’a pas pour but d’’imposer à qui que ce soit de recourir à l’euthanasie s’il ne le souhaite pas. Pas plus qu’on exigera (voir le sondage du Journal du Dimanche plus haut) d’un soignant qu’il le pratique si c’est en désaccord avec ses convictions.

Mais quelle légitimité ont ceux qui s’opposent à un texte, de refuser à d’autres, le choix de mourir dans la dignité !

Peut-on continuer à ne rien faire évoluer en matière de fin de vie ?

Appel au secours
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Interdire l’aide à mourir à un malade incurable est-il une atteinte à la liberté ? C’est la question à laquelle va répondre la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Karsai contre la Hongrie dans quelques mois. Dániel Karsai qualifie sa situation « d’extrêmement humiliante ».

Dans plusieurs pays la loi sur la fin de vie est en train d’évoluer.

Les anciens membres de la convention citoyenne sur la fin de vie pressent Emmanuel Macron de présenter rapidement son projet de loi et s’inquiète de cette inaction.

Ils en ont profité pour écrire une lettre ouverte le 9 décembre 2023. Les membres s’inquiètent notamment que « les échos médiatiques et prises de paroles politiques cet automne laissent à penser que le projet de loi s’orienterait vers un “modèle français de la fin de vie” très éloigné des recommandations de notre rapport. ». Ils concluent « Monsieur le Président, votre avis sur les soins palliatifs et l’aide active à mourir est important mais ne saurait être l’unique boussole en la matière, de même que l’opposition de certaines organisations. »

Alors qu’Emmanuel Macron assume de prendre son temps le 20 décembre 2023 dans l’émission C à vous, le procès pour meurtre d’une médecin anesthésiste a démarré jeudi 21 décembre 2023 à Albi devant les assises du Tarn. Les enfants de la patiente ont toujours confirmé avoir demandé à la médecin de soulager les souffrances de leur mère. Le lendemain, l’anesthésiste a été condamnée à deux ans de prison avec sursis, en deçà des réquisitions du parquet.

Ce site continuera à faire écho aux très lentes étapes d’une loi fin de vie, dont rien ne dit aujourd’hui qu’elle verra le jour.

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