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Les difficultés d’un enseignant débutant la seconde année

Les difficultés d’un enseignant débutant restent importantes en deuxième année. Surtout en l’absence de la moindre formation ! Si ma première année d’enseignant m’a donné quelques réelles satisfactions, cette seconde année va me montrer qu’on ne sait jamais quand on fait les bons ou les mauvais choix.

Durant les congés scolaires de l’été 73, J’apprends la création qu’un nouvel établissement à Montgeron(91). Cet établissement est une ENP (Ecole nationale de perfectionnement). Elle accueille des jeunes souffrant d’amblyopie. L’établissement est doté d’un internat et j’imagine que ce public implique une pédagogie différente de celle que j’ai utilisée l’année scolaire passée. Mon intérêt est multiplié par le fait que deux amis y sont affectés.

C’est parfait. Je demande mon affectation et je l’obtiens sans difficulté. Mais quelques temps plus tard, j’apprends que l’enseignement est réservé aux enseignants titulaires du CAEI. Ceux qui ne disposent pas de cette qualification seront chargés de l’internat. Pour moi la désillusion est totale. Je ne me vois pas du tout comme surveillant d’internat, un job qui n’a rien à voir avec ma volonté de participer à l’éducation de ces jeunes.

La découverte d’une Section d’Enseignement spécialisé (SES)

Je me précipite alors à l’inspection académique qui m’indique que je relève désormais de l’enseignement spécialisé et que je ne peux retourner en collège. C’est encore une déception mais j’obtiens une affectation en SES (Section d’éducation spécialisé). Le poste est un poste à plein temps et je ne serais donc pas obligé de changer d’établissement en cours d’année.

Les sections d’éducation spécialisée changeront d’appellation bien plus tard pour devenir sections d’enseignement général et professionnel adapté. Rappelons comme l’indique l’article Wikipédia que la moitié des effectifs correspond à des enfants d’ouvriers et plus de 20% sont des enfants d’inactifs, Près de la moitié sont issus de familles nombreuses (+ de 5 enfants). Les élèves d’origine étrangère sont 2 à 3 fois sur-représentés dans les SES par rapport aux effectifs de 1er cycle.

La SES de Vigneux-sur-Seine

Section Enseignement spécialisé de Vigneux-sur-Seine
Photo de Christian Bensi

Comme d’ordinaire, je ne reçois aucune formation ni ne suis invité à aucune rencontre pédagogique. Je vois rapidement le responsable de la SES et une collègue qui me dit « Surtout, compte régulièrement les élèves de ta classe ».

C’est une pratique que je connais en colonie de vacances mais ici je ne comprends pas. La classe est un endroit fermé et donc le risque que je « perde » un de mes élèves est particulièrement limité.

Mais la sonnerie retentit, il faut rentrer, je n’en saurais donc pas d’avantage.

L’accueil des élèves est plutôt froid. Rien à voir avec ce que j’ai connu l’année passée. Ces gosses sont ce que l’on appelle des déficients intellectuels légers. Eu égard à mon parcours, j’aurais apprécié qu’on m’en dise davantage mais bon !

Récréation et retour en classe. Au bout d’un moment, les élèves me signalent que l’un d’entre eux n’est plus présent. Surprise, je suis pourtant certain d’avoir rentré tout mon petit monde dans la classe. Et pourtant, il m’en manque bien un. L’oiseau rare a profité que j’écrive au tableau pour passer par la fenêtre dans la classe d’à côté qui est non affectée. À voir l’air goguenard de ses camarades, c’est une pratique courante. Je comprends mieux l’observation de la collègue.

Heureusement, nous sommes au premier étage et c’est dans la classe d’à côté que je rejoints mon oiseau rare. Dorénavant je surveillerais régulièrement que mes élèves sont tous là et que les fenêtres de la classe d’à côté sont bien fermées.

Ce n’est pas en vain qu’on appelle ces enfants des déficients intellectuels légers ! Avant les vacances de Pâques, un élève peut parfaitement savoir faire les multiplications avec retenues et ne rien y comprendre à son retour.

La pédagogie en question

pédagogie en question
Photo de Joseph Mikulcik sur pixabay.com

Je demande à mes collègues des solutions et je rencontre à plusieurs reprises le chef d’établissement, en vain. Ils essaient tous d’adapter les méthodes traditionnelles en simplifiant au maximum. L’attention de ces élèves est de très courte durée.

Le premier jour, je tente une dictée. Avec le recul, j’en ris moi-même. Le texte que je leur dicte me semble court. Ce n’est pas leur avis si je me fie aux soupirs que j’entendrai tout le long. La correction laborieuse des textes et le nombre astronomique de fautes me convaincront de mon erreur.

Les élèves au nombre de 12 ont parfaitement compris qu’ils perdent leur temps. Ils attendent l’année suivante (classe de quatrième) où ils espèrent apprendre un métier. A priori, ils ont peu de chances d’obtenir leur CAP mais je suis témoin du travail remarquable que font les professeurs techniques pour qu’ils acquièrent, au moins, quelques notions de base.

Je m’essaie à un cours de sexualité. Alors que je n’ai pas de problème de discipline, à l’énoncé du cours, j’entends un brouhaha. Plusieurs élèves se lèvent et m’interdisent d’aller plus loin. Je pense qu’ils (elles) plaisantent, leur rappelle que ce n’est pas à eux de faire la loi dans ma classe.

On n’est jamais sûr de rien dans la vie. Devant la révolte à laquelle j’assiste, je finis par capituler. Cela n’étonne aucunement mes collègues qui ont depuis longtemps abandonné ce sujet, même si on en parle dans les circulaires ministérielles. Nous sommes en 1974. Nous avions là les prémices des comportements qu’on rencontre aujourd’hui dans certains établissements. Mais à l’époque, on a autre chose à faire ! Ce n’est pas bien grave.

Et si on parlait pâtisserie !

Cours de pâtisserie
Photo de Sarah Sever sur pixabay.com

A la fin de ma première semaine, on me signale que la cinquième doit commencer à aborder quelques disciplines techniques. Bien évidemment, aucun budget pour cela. J’ai le choix entre couture et enseignement ménager. On me conseille la pâtisserie car l’établissement dispose d’une cuisine qui peut être mise à ma disposition.

Cela tombe bien : je n’y connais rien. Heureusement la prof technique de quatrième qui enseigne la cuisine me vient en aide.

Quand je dis qu’il n’y a pas de budget, ce n’est pas une façon de parler. Je dois trouver des recettes (il n’y a pas Internet en 1974), acheter les ingrédients et faire vendre les gâteaux par mes élèves au sein du CES d’à côté et dans la SES.

Un optimiste (un inspecteur de l’EN) dirait que c’est infiniment pédagogique puisqu’ils apprennent à faire des gâteaux, à trouver les bons arguments pour les vendre et apprennent à rendre la monnaie.

Un esprit chagrin (Moi) dirait plutôt qu’on se moque du monde. Non seulement ces gosses n’ont pas le droit à du personnel formé pour des apprentissages techniques mais ils ne disposent pas du moindre budget. Si on veut rester positif cela a du moins le mérite de les sortir de leurs zones d’échec. Car la plupart réussissent les gâteaux !

C’est sans doute dû à la qualité exceptionnelle de l’enseignant ? Je plaisante, vous vous en doutiez.

Continuons le délire avec quelques extra-terrestres

Extra terrestres
Photo de leo_visions_ sur unsplash.com

La pâtisserie, c’est bien gentil mais cela n’occupe que le vendredi après-midi. Ajoutons à cela un peu d’éducation physique, un peu de travail autour de la presse, pas de quoi remplir les 26 heures de cours.

En fait ces mômes sont totalement désabusés. Je cherche vainement quelque chose qui pourrait les intéresser : un fil conducteur qui permettrait d’agglomérer plusieurs apprentissages.

Et pourquoi pas un film sur une invasion extraterrestre ! On pourrait construire le scénario et l’écrire, faire quelques calculs, fabriquer des déguisements.

L’idée est un peu limite, je l’avoue mais je ne vois rien d’autre. J’ai une caméra super 8, pas de budget (ah oui, cela je l’ai déjà dit) mais on se débrouillera. J’explique mon affaire et petit à petit je sens chez eux le tout début d’une motivation, presque de l’enthousiasme.

Du coup, on commence à discuter scénario. J’essaie d’aller plus loin qu’une ou deux lignes et leur fait développer le rôle de chacun. Certes le travail effectué est très modeste mais du moins leur motivation grandit. J’arrive à réaliser un petit film de quelques minutes.

L’inspecteur qui a vraiment tout compris

Inspecteur qui n'a pas tout compris
Photo de Gerd Altmann sur pixabay.com

Actuellement mon grade, c’est « instituteur suppléant ». L’année prochaine, je serais « instituteur remplaçant ». La différence entre les deux vous paraît sans doute ténu mais elle me permettra d’avoir de meilleurs postes.

Ma hiérarchie se souvient du fait qu’une fois « instituteur remplaçant » on ne pourra plus mettre fin à mon activité au sein de l’Education nationale.

Du coup, on m’annonce la visite d’un inspecteur. Ce « petit Monsieur », très proche de la retraite, me demande mon programme de la journée. On ne m’a jamais parlé de cela. Logique puisque je n’ai jamais participé à la moindre réunion pédagogique. De toutes façons, je ne travaille pas comme cela. En permanence, je scrute leurs comportements et j’adapte en fonction de leurs réactions.

Au bout d’un moment le petit Monsieur agacé vient me voir, me dit qu’il repassera dans une semaine et qu’il veut avoir mon programme de la journée quand il viendra.

Il repasse en effet une semaine plus tard et je lui présente quelques notes sur deux feuilles d’éphéméride. Furieux, il me précise qu’il ne me demande pas de centrer le titre, de le souligner, de décaler de deux carreaux à la marge mais que là vraiment c’est inacceptable. J’ai clairement le sentiment d’être un élève de l’école primaire qui se fait gronder par son instituteur.

Je l’entends soupirer, s’énerver sur ce qu’il voit sur les cahiers des élèves. Bien sûr, il ne fait pas dans la discrétion. Au bout d’une heure, je n’en peux plus et je signale que nous allons sortir dans le petit terrain où nous réalisons habituellement nos séances de tournage. Il s’étonne que cela ne figure pas sur mes feuilles d’éphémérides. Je le salue et je sors avec mes élèves.

Quand l’inspecteur d’académie de l’Essonne me félicite

Enseignements autour de la presse
Photo de Jacqueline Macou sur pixabay.com

Le petit Monsieur m’avertit d’une prochaine mesure disciplinaire. Il me reproche d’être davantage un animateur qu’un enseignant dans ma classe. Je ne peux contester ce fait mais j’estime que j’obtiens de meilleurs résultats ainsi avec ce public très spécifique.

Je suis syndiqué et je fournis pour ma défense au SNI des éléments concernant mon absence totale de formation, ma démarche pédagogique et qui dénoncent le comportement du petit Monsieur.

Le lendemain de la réunion qui statue sur mon sort, je recontacte le syndicat qui me signale qu’ils ont « égaré mon dossier » et n’ont donc pas pu le présenter.

Sans blague !

Le chef d’établissement me reçoit pour me signaler que l’Education nationale me radie. Je ne peux plus enseigner. Mais il s’excuse en me disant qu’on lui a clairement fait comprendre que c’était lui ou que c’était moi et que bien sûr il s’est couvert.

Suite à ce que je considère comme une injustice, j’exige de rester dans ma classe jusqu’à la fin de l’année scolaire ce qui me permettra d’être rémunéré pendant les grandes vacances.

A priori dans un cas pareil (ma radiation), ma demande devrait être refusée. Mais elle est acceptée. Je vais donc continuer à enseigner alors que ma radiation m’interdit de le faire. Incroyable, non !

Mais ce n’est pas tout. Quelques jours plus tard, on me demande d’assister à une réunion pédagogique auquel participe l’inspecteur d’académie. Une succession de « profs modèles » se succèdent. L’un d’entre eux vient nous présenter son action autour de la presse. Cela m’intéresse beaucoup car je me sers de la presse dans ma classe. L’intervenant nous explique que la presse est un outil remarquable car on peut… mesurer un journal, le peser, étudier le type de caractères utilisés.

Je n’en crois pas mes oreilles et j’interviens. J’explique ce que je tente dans ma classe et je m’insurge contre les usages présentés et qui instrumentalise la presse comme un simple outil de calcul et d’étude autour de la typographie.

Suite à mon intervention, l’inspecteur d’académie prend la parole et me donne raison. Il me demande davantage de précision sur mon affectation. Je lui précise alors que ces services viennent de procéder à ma radiation. Moment de silence gêné dans la salle. Et on passe au prof suivant.

Une très mauvaise mais aussi une très bonne surprise

Bonne et mauvaise surprises
Photo de Gerd Altmann sur pixabay.com

Le temps passe. J’ai changé de boulot, nous sommes en 1979. On me propose comme directeur de l’institution pour laquelle je travaille. Pour cela, j’ai besoin d’un agrément ministériel. On fouille donc dans mon passé et j’apprends que dans mon dossier « Education nationale » figure un document sur lequel le petit Monsieur, sans doute, a écrit en lettres rouges la mention ANARCHISTE.

Cela n’aura pas de conséquence finalement, grâce à l’intervention du Président du Centre Information Jeunesse de l’Essonne mais vous imaginez ma colère.

L’Etat autorise depuis peu l’accès aux documents administratifs vous concernant. Je contacte immédiatement l’inspection académique de mon département qui n’a pas d’autres choix que d’accéder à ma demande. Je fouille dans mon dossier et manifestement on a fait le ménage : le document a disparu.

En feuilletant mon dossier je découvre aussi une lettre du principal du collège Guillaume Budé où j’enseignais l’année passée.

Le principal se réjouit de m’avoir rencontré, applaudit mes méthodes dont il apprécie particulièrement les résultats et demande mon affectation l’année suivante dans son établissement.

Sans mon idée absurde de candidater à l’ENP de Montgeron, je serais peut-être aujourd’hui un retraité heureux de l’Education nationale !

Comme quoi on ne sait jamais rien dans la vie. Persuadé d’avoir fait le bon choix en choisissant une ENP, j’ai failli tout perdre. Il s’avère que grâce à cela j’ai pu aborder une nouvelle carrière qui fera mon bonheur pendant 34 ans. Je finirai avec le temps par reprendre la phrase d’un grand Monsieur :

Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends.

Nelson Mandela en 1994

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