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J’ai découvert l’informatique en 1984

Les débuts des ordinateurs personnels ont été laborieux. Certes on ne sait jamais comment un produit novateur va changer notre façon de vivre mais ici on peut se dire que les prédictions étaient particulièrement fausses.

Les « spécialistes » ont, comme d’habitude, annoncer ce qui allait se passer dans l’avenir avec une marge d’erreur… considérable.

Thomas WATSON, président d’IBM en 1943 disait : « Je pense qu’il y a un marché mondial pour environ 5 ordinateurs »

Popular Mechanics, un magazine de technologies, en 1949 affirmait : « Les ordinateurs du futur ne pèseront pas moins d’une tonne et demie »

Steve Jobs (Apple) et Bill Gates (Microsoft) ont marqué leur époque en commençant leurs aventures respectives… dans le garage de leurs parents ! Enfin presque ! Car Wozniak a cassé le mythe Apple en 2014 en expliquant que « Le garage ne servait pas à grand-chose.…l’ordinateur aurait largement été conçu dans son box de travail chez Hewlett Packard, son employeur de l’époque. »

Cela n’a pas empêché que la maison des parents de Steve Jobs soit classée monument historique fin 2013. Comme quoi, on ne sait jamais !

Steve Ballmer, PDG de Microsoft, disait en 2007 :

« Il n’y a aucune chance que l’Iphone obtienne une part de marché importante, aucune chance. »

L’ordinateur personnel a des débuts balbutiants

Wikipedia situe le début des ordinateurs personnels en 1964. En 1973, on invente en France le Micral. Mais les ordinateurs personnels les plus connus voient le jour à la fin des années 70.

En 1976, l’Apple 1 est commercialisé. Il est produit seulement à  200 exemplaires . Si les photos qui représentent Apple 1 dans Google images sont si hétéroclites, c’est simplement parce que l’Apple 1 n’est pas un ordinateur mais une simple carte mère ! Chaque acquéreur doit faire preuve d’imagination et de compétences techniques pour l’intégrer dans un boîtier avec une alimentation électrique, un clavier, et un écran de télévision. Jusqu’au lecteur de cassette destiné à enregistrer les données qui n’est pas fourni !

Carte mère désignée sous le nom Apple 1 Un des tout premier ordinateur personnel
Photo Dave Jones sur Flickr

En 1977 apparaît l’Apple II mais aussi le TRS 80 de chez Tandy, l’Atari 800 et le PET de Commodore. IBM, géant de l’informatique étudie enfin ce nouveau marché. La machine qu’il lance en 1981 va représenter longtemps la référence en matière de micro-ordinateurs. A partir de cette date, l’IBM PC deviendra un mètre étalon pour les clones de la concurrence et ce pendant plusieurs années. On parlera pour ces machines de « compatibles PC ».

En France, les politiques commencent à s’intéresser à cette technologie

En 1975, je suis embauché par le Centre Information Jeunesse Essonne (CIJE) comme informateur-documentaliste. Je fais office d’adjoint de direction en 1977 puis en 1979, je prends la direction.

A l’époque je n’ai aucun intérêt pour les ordinateurs personnels dont j’ignore, pour tout dire, l’existence. Le Président de l’association, qui travaille pourtant à IBM, ne s’y intéresse pas davantage.

Viennent les élections de 1981. Valéry Giscard-d’Estaing propose dans son programme électoral d’informatiser le réseau Information Jeunesse. Nous sommes étonnés d’autant de sollicitude. Mais je comprendrai assez vite qu’il s’agit d’un prétexte pour aider les entreprises françaises en leur passant massivement des commandes de matériel. C’est avec son adversaire, un peu plus tard, que naîtra le fameux programme « Informatique pour tous ». Ce programme devait permettre de sauver un autre maillon de l’informatique française : Thomson. Les jeunes écoliers devront pendant plusieurs années se battre avec le To7 au clavier caoutchouteux et supporter des instituteurs non formés ou si peu !

En 1981, l’adversaire, François Mitterrand, devient le Président de la République. Nous sommes nombreux à penser que le projet de dotation informatique des Centres Information Jeunesse à statut régional (CRIJ) est enterré. Nous nous trompons.

Le gouvernement de Pierre Mauroy reprend l’idée du candidat Giscard-d’Estaing

Le ministère souhaite doter chaque centre d’un ordinateur Bull, libre à chacun d’en acheter davantage. A cet effet, l’Etat verse une subvention de 250 000 F à chaque Centre. Cette somme est équivalente à 73 000 euros (en équivalent 2020 d’après les bases de l’Insee). Elle couvre l’achat de l’ordinateur mais surtout la confection d’un logiciel de documentation. Le matériel est basé sur le microprocesseur Intel 8086. L’écran est monochrome.

Le Questar 400 (et son système d’exploitation CTOS) est pauvre en logiciels bureautiques, logiciels par ailleurs incompatibles avec les produits disponibles sur PC.

Configuraion Questar 400 avec écran monochrome, clavier disque dur et lecteur de disquette
Photo Fédération des équipes Bull

Nous sommes quelques directeurs de Centre à nous émouvoir du montant considérable de l’acquisition du fameux logiciel documentaire. Un tiers des directeurs (dont moi ) entre en rébellion, malgré les menaces du ministère de tutelle. A l’époque, les Centres sont des associations mais les directeurs doivent obtenir l’agrément ministériel pour exercer. Le risque de représailles est donc réel.  

Les représentants des contestataires rencontrent les représentants de Bull et nous obtenons la livraison d’une imprimante laser gratuite, particulièrement chère à l’époque.  L’accord reste secret car Bull ne souhaite pas l’élargir à l’ensemble des CIJ. Le ministère est bien entendu furieux et les autres collègues, qui finissent bien évidemment par l’apprendre, sont dans le même état d’esprit.

Le début d’une passion pour une technologie prometteuse

Toute cette actualité aiguise mon intérêt pour cette technologie dont je ne connais rien. La lecture de revues est la seule solution. En effet, en 1984, les personnes capables de parler informatique sont extrêmement rares.

Les premiers ordinateurs personnels sont très chers :

  • Un Mac (Apple) est vendu 29 000 F (8 466 euros) avec ses 128 k de mémoire, son lecteur de disquette et son écran monochrome.
  • Un PC (IBM) est vendu 36 000 F (10 500 euros) avec ses 128 k, son ou ses lecteurs de disquettes et son imprimante.

128 k de mémoire vous semblent sans doute ridicule. En effet, l’ordinateur avec lequel j’écris cet article en 2021 dispose d’une mémoire 250 000 fois plus importante que sur ces ordinateurs-là. Un simple smartphone peut disposer d’une mémoire 50 000 fois plus importante que ces machines.

D’autres machines, moins chères, tentent de les concurrencer et mon attention est attirée par l’Amstrad CPC 464. Au programme un tarif compétitif 3 000 F (875 euros), un processeur 8086, un clavier, un écran monochrome, 64 k de mémoire et son lecteur de cassettes. Une offre exceptionnelle pour l’époque !

Un ordinateur personnel accessible et complet : l'Amstrad CPC 464
Photo Jeremy Keith sur Flickr

Si mon expérience personnelle de l’Amstrad n’est pas transposable dans mon activité professionnelle, elle me permet d’imaginer les incroyables possibilités de cette technologie. Le soir, je recopie des petits programmes en basic pour permettre à mes très jeunes enfants de jouer avec la machine.

Par la suite, j’envoie en formation une documentaliste pour qu’elle apprenne à se servir du Questar 400. Quand elle revient, elle est totalement incapable de se servir de la machine. Je commence à avoir des doutes quant à l’utilité de ce matériel pour le Centre de l’Essonne.

Le logiciel documentaire Bull gère des grosses masses de documentation. Pour le CIDJ (centre national), il convient sans doute. Il est par contre totalement inadapté à des centres de tailles plus modestes. De plus, seul l’aspect documentaire a été travaillé, il est impossible de faire des tirages exploitables. Pour faire des éditions destinées au grand public, il faut refaire une saisie. Un comble !

Nous rangeons la station BULL dans un placard ! Je suis furieux de cette perte de temps et de ce gaspillage financier.

Les technologies progressent et les prix diminuent

Amstrad lance en 1985, l’Amstrad PCW 8512. C’est une machine destinée principalement au traitement de texte. À la droite de l’écran se trouvent deux lecteurs de disquettes de 3″. La station dispose de 512 K de mémoire et d’une imprimante matricielle. Elle se vend 8 000 F (2 200 euros).

Configuration Amstrad PCW 8512 écran imprimante matricielle et deux lecteurs de disquettes
Marcin Wichary sur Flickr

Ce qui m’intéresse sur cette machine :

  • La possibilité de mémoriser le courrier du Centre et de pouvoir modifier d’anciens courriers pour les réimprimer.
  • La possibilité de gérer des bases de données et d’imprimer le résultat des requêtes afin de constituer des brochures d’information.

Mon fournisseur me procure un logiciel. Il s’agit en fait du gestionnaire de base de données Dbase mais il a oublié de me préciser qu’il me faudra pour mon projet écrire des milliers de lignes de codes. Le projet ne passionne pas mon équipe. Je décide de m’y atteler moi-même et je serai jusqu’en 1995 celui qui créera l’ensemble des programmes de gestion de base de données documentaires du Centre.

Créer des bases de données, c’est bien mais il faut aussi disposer de machines pour saisir les informations. Le dynamisme de la marque Amstrad va me le permettre.

1986 : véritable démarrage pour l’informatique du Centre

En France, Amstrad sort son compatible PC (le PC 1512) vendu à moins de 10 000 F (moins de 2 500 euros), écran compris, avec 512 k de mémoire extensible à 640 K.

A mes yeux, il a deux intérêts :

  • Le prix compétitif
  • La possibilité d’obtenir une configuration puissante avec un lecteur de disquette ET un disque dur de 20 Mo.

Et donc logiciel et matériel sont désormais disponibles pour faire de la saisie et de l’impression.

Le tout premier compatible PC : l'Amstrad PC1512 avec ses deux lecteurs de disquettes
Photo Marcin Wichary sur Flickr

1987 : La configuration informatique du Centre devient insuffisante

Cependant, avec deux machines pour la saisie, cela devient vite ingérable. Je rêve bien sûr d’une informatique en réseau mais la technologie réseau est hors de prix ou peu performante.   

J’apprends alors qu’une entreprise située au nord de Paris importe du matériel de Taiwan et le commercialise. Le commercial me garantit la fiabilité de cette fabrication. La configuration qu’il me propose s’articule autour de 6 machines :

  • Un serveur doté d’un processeur Intel 80286. Ce processeur est deux fois plus puissant que le 8086 qui équipe le Bull Questar qu’on nous a livré.
  • Les cinq autres postes sont des postes esclaves qui se contentent d’utiliser et de modifier les ressources gérées par le serveur.

Le tarif est abordable, d’autant plus que je décide de revendre les PC1512 et l’imprimante laser gracieusement offerte par Bull.

Sur le papier, c’est vraiment la bonne solution ! Chaque informateur-documentaliste pourra directement renseigner le public avec la documentation départementale. Il pourra saisir des informations à tout moment à partir de son poste. Je pourrais administrer les bases et même gérer ma comptabilité. Le secrétariat n’aura pas besoin d’imprimer les courriers pour les faire relire. Au début des années 1990, le CIJ de l’Essonne sera d’ailleurs le premier centre à se passer de la fonction secrétariat, chaque membre du personnel faisant son propre courrier. C’est loin d’une pratique habituelle à l’époque.

1988 : La bonne idée de trop

C’est parfait ? J’ai tout compris ? Pas vraiment ! En fait, les pannes se succèdent et je dois souvent faire la navette avec mon fournisseur pour obtenir le remplacement de pièces défectueuses ou trop fortement sollicitées. Les pannes sont si nombreuses que je me mets à réparer moi-même.

Le travail documentaire avance mais à quel prix ! Monopolisé par ce travail, je néglige le travail de communication, pourtant indispensable à une association qui vit de subventions. Je dois me rendre à l’évidence. C’est un échec personnel. Un an après l’acquisition de ce matériel, je conserve seulement le serveur et doit racheter deux PC. Les informateurs documentalistes devront s’organiser pour les saisies documentaires et le secrétariat sur les machines et l’informatique disparaît de l’accueil.

D’un autre côté, sur le plan national, il n’y a rien à espérer. L’offre Bull ne correspond pas à nos besoins. Aucun financement possible de la part de l’Etat, l’informatique n’est plus une priorité. Dans le même temps, le gouvernement stoppe le programme « Informatique pour tous », l’année suivante.

Après cela, chaque CRIJ développe des solutions documentaires avec ou sans informatique, avec ou sans Bull Questar 400 qui a vieilli. L’informatique est devenu la chasse gardée des documentalistes et aucune réflexion d’informatisation globale n’est à l’ordre du jour.

Durant toute la période qui va suivre, je suis dans le réseau Information Jeunesse un des rares directeurs à croire aux possibilités considérables que va nous offrir l’informatique. Certains de mes collègues me surnommeront même « Monsieur gadget ». C’est dire.


Daniel Humblot, Président de la Fédération des équipes Bull (FEB) m’a fourni la photo du Questar 400 qui figure plus haut. La F.E.B. est une association “ Loi 1901 ”, qui fédère les amis de Bull autour d’activités culturelles concernant l’histoire du traitement de l’information. Si cela vous intéresse, cliquer ici pour y adhérer et en savoir davantage.