Première année à l’Education Nationale : le temps des réussites

En juin 1972, j’ai 18 ans. Je passe mon baccalauréat et à ma grande surprise, alors que je pense l’avoir raté, j’obtiens une mention.

Ma mère a décidé que je ferais des études de droit. Mais je ne supporte pas les affrontements dans la faculté entre la gauche représentée par l’UNEF et le GUD, organisation violente d’extrême droite. De plus, les études de droit nécessitent beaucoup de mémoire. Aucune appétence pour cela !

Je décide donc d’abandonner mes études pour un temps et de chercher un travail. Je pense que cela devrait somme toute être assez facile. Evidemment je m’illusionne.

Dans un premier temps je pense rechercher un travail dans l’animation. L’UFCV m’a repéré mais l’organisme me propose uniquement des vacations comme formateur. Je pense aussi à un poste de surveillant au Lycée de Montgeron que je viens de quitter. Je compte pour cela sur mes bons rapports avec l’administration comme Président des élèves délégués de l’établissement. Malheureusement on me précise que c’est bien trop tard pour postuler, l’année scolaire ayant déjà commencé.

A la sortie de l’établissement, je rencontre un camarade auquel je raconte mes malheurs. Il me demande si un poste d’instituteur m’intéresserait, me dit ne rien me promettre mais il va tenter de me pistonner.

Les semaines passent. J’ai déjà oublié cette sympathique proposition. Mais le téléphone sonne et le copain m’annonce que ma candidature est retenue. Un peu plus tard, je reçois une convocation pour le 16 janvier 1973 au CES Guillaume Budé à Yerres. Je suis affecté pour un remplacement de congé de maternité dans une classe de cinquième dite de transition. Ces classes sont destinées à des élèves souffrant d’un retard scolaire. Elles sont dites de transition car elles sont censées permettre de rejoindre un cycle normal. En réalité une archive de Wikipédia rappelle qu’il s’agit surtout de produire de la main d’œuvre non qualifiée.

Le collège Guillaume Budé, je le connais bien : j’y ai effectué ma classe de troisième quatre ans plus tôt.

Lorsque l’absence totale de formation permet d’expérimenter de nouvelles méthodes

Le 16 janvier donc, je me présente au chef d’établissement. Dans la classe, une institutrice est présente. Celle-ci me fournit quelques éléments qui me permettront de faire cours durant cette journée. Après cela il faudra me débrouiller.

Me débrouiller avec quoi et comment ?

Je décide de me présenter aux élèves et de demander à chacun d’entre eux d’en faire de même.

Quelques jours plus tard, lassé par le chahut incessant d’un élève, je le menace de convoquer ces parents. Enorme éclat de rire dans la salle. Je demande la raison de cette hilarité. Un des gamins m’explique que la majorité de la classe vient de l’orphelinat situé non loin de l’établissement.

On a, semble-t-il, oublié de me prévenir !

Le scandale des Collèges Pailleron

Trois semaines jour pour jour après mon arrivée, on apprend de sinistre mémoire, l’incendie du CES Pailleron. 20 personnes trouvent la mort dans cet incendie. L’Etat dissimule les faits mais décide de procéder à des alertes incendies dans ces établissements, construits au rabais.

Or, le collège Guillaume Budé est un collège type « Pailleron ». Ambiance !

Je me souviendrai longtemps de la première alerte incendie. Un bruit peu identifiable se fait entendre. On ne m’a pas prévenu de ces alertes incendies. Je reste donc tranquillement dans ma salle. La collègue des sixièmes ouvre la porte de communication entre nos deux classes et me dit qu’il faut sortir. Nous nous apprêtons donc à sortir bien tranquillement. Retour de l’enseignante des sixièmes : elle ne retrouve pas ses clés et va donc devoir faire passer ses élèves par ma classe.

Mais pourquoi diable ferme-t-elle sa porte à clé ! Eh bien tout simplement parce que la poignée de sa porte est cassée et que c’est la seule façon pour la maintenir fermée. Au passage, on évite les sorties de secours puisque celles-ci ont été condamnées. Encore une histoire de portes défectueuses. Décidément les collèges type Pailleron n’ont pas volé leur réputation !

Le responsable de notre bâtiment chronomètre la sortie. Evidemment on imagine bien ce qui se serait passé en cas de véritable incendie sans accès aux issues de secours.

Renforcer le contact avec les élèves, les familles, le foyer

Les relations avec les élèves sont excellentes. J’ai décidé de tutoyer mes élèves et eux font de même en m’appelant par mon prénom. Pendant les récréations on discute dans le hall du collège. Nous sommes souvent rejoints par les élèves d’autres classes et nous partageons nos points de vue.

Je passe régulièrement à l’orphelinat pour discuter avec mes élèves et comprendre leurs difficultés autres que scolaires.

Les parents des enfants scolarisés chez moi ne viennent jamais me voir. C’est donc toujours moi qui me rends à leur domicile.

Un élève particulièrement turbulent m’amène à rencontrer ses parents. Je suis persuadé qu’ils vont être peu attentifs à mes propos. C’est le papa qui me reçoit. Il a l’air très flatté que je prenne du temps pour venir le rencontrer. Je lui raconte les frasques de son gamin. Petit à petit je vois l’homme défaire sa ceinture de pantalon.

A-t-il décider de me frapper ?

Non manifestement la ceinture est destinée à son fils. Du coup je fais marche arrière, explique que ce n’est pas si grave, que l’enfant va comprendre… Au bout d’un long moment le père se calme. Il comprend ma position mais m’indique ne pas savoir comment faire autrement son éducation. Cependant, c’est promis, il ne frappera pas son fils. Enfin, cette fois-ci !

Je vais partir mais le père ne l’entend pas ainsi. On va boire un « ptit » punch me dit-il. Il fond de bonheur quand je lui annonce que ma mère a vécu plusieurs années en Guadeloupe et que je comprends un peu le patois antillais. Je n’aurai plus de soucis avec ce gamin.

Un autre jeune attire mon attention. Ce gosse est manifestement très intelligent. Je ne comprends absolument pas ce qu’il fait dans cette classe. Un jour, un conflit nous oppose.  Il y a des outils dans la classe pour fabriquer de petites choses. Le gosse s’empare d’un marteau et se met à frapper contre les radiateurs de la classe et les murs. Coup de chance, c’est la fin de la journée et les élèves doivent quitter la classe. Je reste donc seul avec lui. J’alterne des moments de discussion et des moments d’indifférence à ses propos quand il montre de l’agressivité.

Une fois le calme revenu, je quitte l’établissement en sa compagnie et me rends à son domicile. J’y rencontre sa mère. Elle est seule pour l’élever et bien sûr elle travaille.

Que puis-je faire ? J’en parle autour de moi. Ce gosse a besoin d’un suivi psychologique mais nous sommes en 1973 ! Ce jeune a des capacités mais se retrouve sur une voie de garage car on ne peut lui trouver une solution !

Les vacances de Pâques approchent. Je m’apprête donc à quitter l’établissement. Les enfants décident de consacrer l’argent, destiné à un cadeau pour le retour de l’institutrice titulaire, à un cadeau pour mon départ.

Les gosses entonnent « Adieu Monsieur le Professeur » ce jour là, un vrai moment d’émotion pour moi.

Les classes préprofessionnelles de niveau, de vraies voies de garage

A la rentrée des vacances je suis affecté sur deux mi-temps dont l’un s’effectuera au Collège de Ballancourt. Cette fois-ci, il s’agit de classes préprofessionnelles de niveau. Les élèves sont donc plus âgés. Ceux-là ont parfaitement compris qu’ils sont sur une voie de garage et manquent nettement de motivation. Beaucoup sortiront sans diplôme. En fait le rapport de force est permanent. Ma « classe » se situe dans un préfabriqué sordide que l’Education Nationale qualifie de « provisoire ».

Difficile de créer un lien avec ces mômes. A force de les écouter, je leur fais une proposition. Le midi après la cantine, pourquoi ne pas transformer en foyer la classe avec de la musique et des jeux de société ? Ils doutent de l’acceptation de l’établissement. Mais nous ne gênerons personne, le préfabriqué étant éloigné du collège en dur et chacun s’engageant à respecter le local.

J’amène évidemment le matériel nécessaire. C’est à moi d’amorcer les choses mais je souhaite qu’ils se responsabilisent plus tard. Le matin du grand jour je sens qu’ils font preuve de bonne volonté et suivent les cours avec plus d’attention.

Après le repas j’ouvre donc le préfabriqué en foyer. Du coup des élèves d’autres préfabriqués se joignent à nous mais aucun incident n’est à signaler. J’ai averti mes élèves des risques que je prends si un incident survient. J’apprendrai plus tard que le chef d’établissement est absent ce jour-là. Cela va avoir toute son importance par la suite.

Le lendemain, nous recommençons. Mais cette fois-ci le chef d’établissement est présent et il s’étonne de cette musique auprès des surveillants. Furieux d’apprendre mon initiative, il se précipite vers ma salle. Je l’entends me dire « un foyer, un foyer dans mon établissement ! ». Je tente de lui expliquer ma position. Il repart en grognant. 

L’après-midi, je n’ai pas cours et je suis plutôt satisfait de la dynamique que je viens de créer. Même si j’ai eu tort de ne pas prévenir le chef d’établissement (mais m’aurait-il autorisé si je l’avais prévenu ! ), il ne m’interdit pas de poursuivre. Pour moi, tout va bien. En fait, pas vraiment !

Quand des actes de malveillance modifie la politique de l’établissement

Le lendemain, à mon arrivée, un surveillant m’interpelle. Juste après mon départ la veille, les portes de plusieurs classes de l’établissement ont été mastiqués par des élèves. Les professeurs concernés ont passé près d’une heure à entrer dans leur classe. Je dois rencontrer le principal du collège. Ce dernier me somme de mettre un terme à mon initiative. Quant à mon sort, il m’indique qu’il va y réfléchir.

De retour dans ma classe, un élève me signale qu’il est l’auteur de « l’incident ». Au vu de l’attitude du principal la veille, il a imaginé que ce dernier allait fermer le foyer. Je lui indique que c’est au contraire son comportement qui entraîne la fermeture.

L’élève m’annonce qu’il va rencontrer le principal pour se dénoncer. J’essaie de le dissuader devant l’inutilité du geste même si j’apprécie sa franchise.

Quelques jours plus tard, je dois me rendre sur une autre affectation.

A mon retour au collège de Ballancourt, le surveillant avec lequel j’ai sympathisé m’explique que l’élève est allé se dénoncer. Mais il a aussi dit au principal à quel point l’établissement était hideux et l’interruption du midi interminable, alors qu’ils sont parqués dans la cour. Le préau leur est interdit quand il ne pleut pas. L’élève a été sanctionné mais le principal a commandé deux tables de ping-pong pour les élèves et ils auront désormais accès au préau.

J’ai du mal à cacher ma satisfaction.

Le principal ne me demandera pas de le rencontrer mais manifestement aucun rapport ne sera fait contre moi.

Durant l’été 1973, je pense à l’année scolaire suivante et je ne doute pas que d’autres « victoires » m’attendent…

Je me trompe.

Suite dans un prochain article…